Pavillon-Party.

Une chaleur de début d’été, légère encore.
Ludovic allonge ses jambes sous la table de jardin en teck huilé, envisage son environnement d’un regard panoramique. La pelouse verte, lustrée, ne comporte aucun brin dépenaillé. Il vient de lui refaire une coupe au rasoir. L’arbre, nécessaire mais unique, allonge ses branches organisées. C’est un pommier. Il se remémore dans un sourire la difficile conversation. Sylvie voulait un cerisier. Joli mais trop d’entretien, les femmes n’ont pas cette faculté masculine des choses matérielles. Les cerises qui tombent, qui tachent, qu’il faut cueillir dans l’urgence. Ce fut un pommier, mais un pommier du japon, ultime désir féminin qu’il sut approuver.
La haie de thuyas est au cordeau, le portail blanc éclatant, la descente du garage lisse. Il finit son tour d’horizon par le meilleur, le pavillon.
Un plein pied, pour les vieux jours où les escaliers deviennent difficiles, une petite brisure de façade pour l’esthétique, de grandes baies vitrées ouvrant sur la petite zone pavillonnaire. Pas pour eux les grands ensembles anonymes. Juste une vingtaine de maisons, conviviales comme un village. Ils possèdent l’habitation supérieure, celle qui domine toutes les autres. Ludovic a des relations. Il n’en est pas fier, c’est juste un fait… pratique.
Il a dû se battre pour ce crépi mordoré, discuter des heures pour le carrelage en mosaïque de verre de la salle de bain, menacer de poursuites pour obtenir, sans supplément, les deux colonnes de la porte d’entrée. Ne jamais se laisser faire, une règle qu’il sait tenir quand il faut. Faire construire, c’est l’œuvre d’une vie, il ne s’agit pas de baisser la garde.
Ainsi, ils ont passé des heures à travailler les plans. Les constructeurs vous proposent des projets qui sont simplement absurdes. Il a fallu, là encore, négocier la large pièce à vivre, la cuisine à l’américaine avec le long plateau gris anthracite,le coin bureau encastré, les chambres des enfants avec salle d’eau commune, le dressing,les volets roulants automatiques, la douche à l’italienne.
Le long canapé fait encore un peu isolé. Il faudra y ajouter une table de salon structurée, une plante verte, une horloge de gare. Il y en a de merveilleuses chez IKEA, mais un peu chères. Par contre, il ne regrette pas la télé numérique qui occupe tout un mur. Un match en cinémascope, ça a quand même une autre allure.
Douchka, la Labrador sable qu’ils viennent d’acheter, vient, nonchalante, s’allonger sous ses pieds. Il la caresse négligemment. Une chienne, c’est plus doux, mais il faudra la faire opérer. Encore des frais !
─ Tu veux un café ?
Sylvie lui pose une main sur l’épaule. Oui, Ludovic veut bien un café, un expresso long, façon capuccino, avec une pointe de caramel. Il entend la machine qui chuinte imperceptiblement. Elle propose un choix important de thés, cafés, chocolats, aromatisés d’une multitude de goûts variés. Une merveille !
Sylvie revient, s’assied, pose un long verre aux strates colorées près de la petite tasse de porcelaine.
─ Je t’accompagne.
─ Qu’est-ce que c‘est ?
─ Une expérience. J’ai vu ça dans la notice, ça m’a fait envie.
Ils restent tous deux côte à côte un long moment, tranquilles, sans rien dire. Les ombres glissent lentement sur la terrasse aux carreaux parfaits. Parfois, la jeune chienne se tourne dans un soupir alangui.
Sylvie se lève, récupère les deux récipients vides, s’en retourne vers d’autres tâches ménagères.
Ludovic se carre plus profondément dans le fauteuil de jardin qu’il a voulu chocolat pour l’assortir à l’ensemble. La lumière est maintenant sur sa joue.
Il observe une nouvelle fois son pavillon qu’il a agencé avec tant de soin, qui lui coûte si cher.
Pourtant, avec une surprise indicible, il découvre…
Qu’il s’emmerde quand même.

Chapeau

Il descend de la Jaguar décapotable, lisse son pantalon noir, sort une cigarette longue, menthol, d’un porte-paquet d’argent nickelé, la glisse entre ses lèvres fines, commence à chercher son briquet tout en observant les alentours.
Une ville d’eau comme il aime, façades blanches, promenade à rambarde de pierres sur un lac lisse comme un drap, vaste comme une mer, agencé de deux trois bateaux de promenade à cheminées d’écume.
Deux trois villas Art-Déco, le casino à marquises de métal, la longue plage de sable blanc.
Décor de film pour romance d’amour.
Il cherche des yeux les robes à crinolines, les déesses à taille serrée, le vaste chapeau, l’ombrelle.
Ne les trouve pas.
Juste, de ci de là, quelques touristes-étrons affublés du short foutoir à jambes-saucisses, du tee-shirt godaillant, de la casquette à visière de plastique transparent.
Rares heureusement, on est en juin.
Mais vieux évidemment, on est en juin.
Tant pis.
Il allonge quelques pas, lance au ciel un rond de fumée presque parfait, cherche une terrasse accueillante.
‒ Enfin, vous voilà !
Deux mains gantées sur ses yeux, une voix féminine qu’il ne connait pas, qu’il n’a jamais entendu auparavant.
Il n’oublie jamais ces choses là.
Il se retourne.
Ah !
Une femme, une vraie. Yeux noirs dessinés de mascara, cheveux noirs sous un chapeau vaste et large, robe qui flotte au vent à haut de dentelles totalement transparentes, jambes galbées de soie, chaussures hautes, découvertes, et, cerise sur le gâteau si l’on peut dire, un long fume cigarette aussi érotique qu’incongru.
Il sourit.
‒ Vous êtes ?
‒ Celle que vous attendiez, celle qui vous guettait depuis deux jours qu’elle était arrivée et que vous n’y étiez pas. Celle qui s’ennuyait sans vous mais, enfin, vous voilà.
Son sourire s’agrandit.
‒ Que joliment ces choses là sont dites.
‒ N’est-ce pas ! Alors voici ce que je vous propose…
Une pause, il attend, intéressé.
Elle lui prend le bras, l’entraine.
‒ Vous êtes descendu dans le même hôtel que moi.
Elle lui montre une structure de balcons ouvragés, un chasseur en livrée, trois marches de moquette rouge.
Il opine.
‒ Je suis chambre 312, vous êtes à la 313.
Il ne vérifie même pas.
‒ Elles communiquent entre elles ce qui est bien, mais d’une porte à serrure ce qui est mieux. Nous sommes vous et moi ici pour quinze jours, nous repartons le même samedi à la même heure. Que diriez-vous de passer ces vacances ensemble sans se connaître ? Juste hors du temps pour une quinzaine et puis chacun, chacune, revient à sa vie habituelle comme s’il ne s’était rien passé.
Il adore ce genre d’idées.
‒ Alors, venez, je connais un petit restaurant charmant accroché au coteau à cent mètres d’ici. J’y ai réservé une table pour deux, nous pourrons y conclure cet accord et nous avouer des choses impérissables. Mais d’abord, inventons nos prénoms de voyage. Qu’en pensez-vous ? Quel nom me donneriez-vous ?
Il réfléchit une demie seconde.
‒ Que diriez-vous d’Elvire ?
‒ Elvire, oui ça me plaît. Et vous, je vous appellerai… voyons… un prénom ancien, peu courant mais charmant, Théodore, qu’en dites-vous ?
‒ Eh bien, Théodore je suis et Théodore je serai.
Alors Théodore prend la taille d’Elvire, Elvire pose sa main gantée sur l’épaule de Théodore, et, d’un pas tranquille exactement ajusté l’un à l’autre, le couple se dirige vers le bout de la promenade.
Elle se penche vers lui.
‒ Vous savez, Théodore, pour vous, j’ai mis des bas et…
Il lui pose un doigt sur les lèvres.
‒ Chut Elvire. Voyez-vous, une chose que j’adore par-dessus tout, ce sont les surprises.